Le professeur Lancinet Kaba a rendu ce samedi 27 mai dans une clinique de Conakry suite à une longue maladie.
Éminent Professeur, comme le cas général des grands intellectuels Africains, l’illustre disparu n’a pas pu exceller en politique. Mais, l’histoire retiendra que l’enfant de Kankan a été un Patriote au sens réel du terme malgré un long exil en Amérique qui l’a adopté et célébré comme l’une des fiertés Africaines.
C’est en fin mars 1984, le 27 précisément que j’apprends l’existence d’un Guinéen, Professeur d’université à Chicago du nom de Lancinet kaba. Réagissant sur les antennes de « la Voix de l’Amérique » sur les conséquences politiques du décès brutal du Président Ahmed Sékou Touré, survenu le 26 mars, dans une clinique de Cleveland, celui qui se proclame comme un exilé politique Guinéen, fait état « des luttes internes des clans au sein du BPN du PDG pour la succession » du Responsable Suprême de la Révolution, mais prophétise leur » échec et la prise du pouvoir par l’armée Guinéenne ». Le 03 avril 1984, le CMRN sous la conduite du Colonel Lansana Conté prend effectivement le pouvoir en Guinée.
Depuis, le Professeur Lancinet Kaba, comme les opposants ou supposés tels au régime défunt, retrouve sa patrie et son Kankan natal qu’il aimait affectueusement.
Avant la légalisation des partis politiques, le 03 avril 1992, ses séjours ont souvent été mis à profit pour donner des conférences culturelles notamment à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry que les différents Recteurs surtout feu Aboubacar Sompare organisaient régulièrement.
En 1986, j’ai eu l’honneur d’assister le chef Abdourahamane Diallo DZ dans une longue interview que le Professeur Lancinet Kaba a accordée à la RTG. Cette interview avec un élogieux hommage « La Guinée bouge … » rendu au régime du CMRN a semblé être le principal facteur du handicap politique du futur Président de parti à se faire entendre même dans sa ville natale de Kankan qui, comme les autres préfectures de la Haute Guinée, était déjà retranchée dans une opposition résolue contre le pouvoir du Président Lansana Conté.
N’empêche, le Professeur d’université a continué à être utile à son pays à sa manière.
En 2005, en marge d’un voyage d’études aux États-Unis, il m’a longuement reçu dans son université de Chicago avant de me convier avec son épouse Malienne à un dîner dans leur propriété dans la Banlieue de la ville de Malcom X et d’Al Caponne.
Homme de conviction, s’il a soutenu le candidat du RPG dans son élection de 2010 et sa réélection de 2015, il est resté un allié objectif et s’est clairement et publiquement démarqué de l’opération de modification constitutionnelle pour un 3ème mandat à travers cette prise de position dès novembre 2019 valable pour la postérité.
« Pour l’honneur national, « Non » au projet de constitution »
Par Professeur Lancinè Kaba
Ces derniers jours, ici à Doha au Qatar, de nombreuses chaînes de télévision ont montré des scènes terribles et horribles de la réaction des forces de l’ordre de Conakry contre des populations que les autorités présument être des adversaires du régime du Président Alpha Condé. Quels crimes ces citoyens ont-ils commis? Rien, sauf leurs droits légitimes de citoyens de dénoncer les agissements perfides du chef de l’État et de son gouvernement , et en l’occurrence leur projet scélérat de changer la Constitution et de briguer un troisième mandat, en flagrant délit contre les serments solennels de 2010 et de 2015 de respecter la loi. (prévoyants et même sages ont été, il faut le reconnaître, les politiques et juristes qui avaient formulé les articles limitant le mandat du président). Les protestations n’avaient donc pas le caractère « tribal », que des journalistes, en hâte de commentaires sensationnels ont déclaré avec l’image rapide de Cellou Dalein Diallo, opposant bien célèbre depuis longtemps. Ne nous trompons pas, cependant: la question est d’ordre politique plutôt qu’ethnique.
« Le Président et son gouvernement, d’un commun accord, ont autorisé l’arrestation de certains chefs de l’opposition, y compris Abdourhamane Sanoh, ancien ministre, et célèbre dans bien des quartiers de Conakry. Sanoh est connu pour son sérieux, son calme, son ouverture d’esprit, sa probité et sa dévotion à l’esprit d’unité nationale. Il fait partie des principaux animateurs du Front national pour la défense de la démocratie (FNDC).
« Le FNDC représente un cercle de plus en plus vaste. Les membres et sympathisants sont tous de jeunes Guinéennes et Guinéens de toutes origines, de toutes conditions, de toutes régions, de toutes religions et de toutes ethnies; ils sont déterminés à renforcer les idéaux de décence qui font beaucoup défaut dans la gestion politique, administrative et économique du pays. Dans une nation qui connaît, depuis quelques décennies, l’ethnicisme à outrance à divers niveaux de la vie politique, ce mouvement fait honneur. Car, il encourage les nationaux à transcender les divisions anachroniques, et donc fausses. Ceux et celles qui animent le FNDC aspirent à jouer les rôles de patriotes dans la tradition honorifique que nous considérons caractéristique du bel esprit de guinéenité.
Sur quoi se fonde ce sentiment de guinéenité? C’est un esprit, ou une conscience de grandeur, voire d’ honneur; il repose sur la volonté d’agir en unisson avec les autres sans esprit clanique, et de prendre position contre tout projet de loi mal conçu et contraire à l’honneur de la nation. La guinéenité est indispensable à l’esprit d’appartenance au territoire et à la culture de Guinée. On peut bien se demander si tous les responsables guinéens d’antan et présents possédaient ou possèdent cet esprit.
« Il est utile de rappeler qu’un tel esprit se manifesta maintes fois dans l’histoire de la Guinée, déjà avant la colonisation même du pays. Il se manifesta déjà à Porédaka, quand les soldats de l’Almamy Samory Touré et ceux de L’Almaami Bokar Biro Barry luttèrent ensemble contre contre les forces d’invasion coloniale. Cet esprit se révéla encore, d’une autre manière, en 1945-46, quand la liste de Yacine Baldé-Diallo l’emporta sur les autres candidats dans leurs propres terroirs. Il se montra aussi de 1954 à 1957, quand Diawadou Barry et Framoï Bérété vainquirent Sékou Touré et Saifoulaye Diallo. Finalement, nous affirmons que ce grand esprit triompha au référendum de 1958, quand d’un commun accord, toutes les populations votèrent NON. Le même esprit anime aujourd’hui ceux qui protestent avec courage contre les projets de réforme constitutionnelle et de troisième mandat.
« Le Président Alfa Condé dont la popularité partit de sa lutte vigoureuse contre l’autocratie et la mauvaise gouvernance, devait, en principe, résister à la tentation de se pérenniser au pouvoir. Son élection aux scrutins de 1910 et de 1915 donna beaucoup d’espoir. Les Guinéens de toutes parts s’attendaient à des lendemains meilleurs avec une administration fiable et efficace. Mais, à présent, le Président, son parti et ses conseillers connus ou inconnus veulent engager le pays sur une voie tortueuse, embourbée de mensonges et de fausses promesses, et par conséquent contraire au bon sens politique. Cette voie conduira à la catastrophe. Les populations s’attendaient à une meilleure politique, une éclairée et digne d’un universitaire.
« C’est pourquoi nous faisons appel à la conscience lucide des Guinéennes et des Guinéens. Ils ont déjà maintes fois montré leur maturité politique. Ils sauront donc éviter les mensonges des gens à la solde du Pouvoir, ainsi que les propagandes des agents du gouvernement et de son Parti. Les citoyens de bonne foi savent que le régime du RPG n’a pas pu réaliser depuis bientôt dix ans un programme honorable. Ce régime s’est soldé de dix ans de mauvaise gouvernance et de corruption dans l’impunité.
La Guinée a besoin, non pas d’un Parti-état dirigé par une clique de maffieux. Elle mérite un système clair et franc avec l’alternance dans l’ordre et le respect des principes qui redonneront au pays sa place d’honneur ».
Carnegie Mellon University in Qatar
Doha, State of Qatar
16/11/2019
Édito d’Abdoulaye Condé ( Journaliste )